Titre Précedent Suivant Sommaire Index | LVIII. — Michel de l'Hôpital. — Desaix. — Le courage civil et le courage militaire.

LVIII. — Michel de l'Hôpital. — Desaix. — Le courage civil et le courage militaire.

I. Enfants, voici encore une belle histoire, l'histoire d'un magistrat français qui ne connut jamais dans la vie d'autre chemin que celui du devoir, et qui se montra si courageux dans les fonctions civiles que d'autres dans le métier des armes.
Michel de l'Hôpital naquit, en Auvergne, au seizième siècle. Son travail assidu, ses études savantes et son grand talent le firent arriver à un poste des plus élevés : il fut chargé d'administrer les finances de l'Etat.
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MICHEL DE L'HÔPITAL, né à Aigueperse (Puy-de-Dôme), en 1505, mort en 1573.
Bien d'autres, avant lui, s'étaient, à ce poste, enrichis rapidement, en gaspillant sans scrupule les trésors de la France. Michel, qui avait la plus sévère honnêteté, réforma les abus et donna l'exemple d'un entier désintéressement. Pauvre il était arrivé aux finances, pauvre il en sortit ; tellement que le roi fut obligé de donner une dot à la fille de Michel de l'Hôpital pour qu'elle pût se marier.
La probité que Michel avait montrée dans l'administration des finances lui valut d'être nommé à un poste plus important encore. Cette fois, ce n'étaient plus les trésors de l'Etat qu'il avait entre les mains, c'était l'administration de la justice qui lui était confiée : il fut nommé grand chancelier du royaume. Dès le début, on voulut lui arracher une injustice, et obtenir qu'il signât un arrêt de mort immérité. On le menaçait lui-même de le mettre à mort, s'il ne signait cet arrêt. La réponse de Michel de l'Hôpital fut telle, qu'il serait à souhaiter que tout Français l'apprît par coeur :
Je sais mourir, dit-il, mais je ne sais point me déshonorer.
Et Michel ne signa pas.
Pendant plusieurs années il occupa son poste de chancelier sans qu'il fût possible à personne de le corrompre, ni par des présents ni par des menaces.
Enfin, cette franchise courageuse et cette probité déplurent. De plus, il voulait empêcher, au sein de la France, ces dissensions entre Français, ces guerres civiles et religieuses qui la désolaient alors. La reine Catherine de Médicis lui enleva sa charge, et Michel se retira sans regret à la campagne.
Peu de temps après, on vint lui apprendre qu'un grand massacre se faisait dans le royaume par ordre du roi Charles IX, le massacre de la Saint-Barthélémy. On lui dit que le nom de Michel de l'Hôpital était sur la liste des victimes et que les assassins allaient arriver. Michel ne se troubla point et commanda qu'au lieu de fermer les portes on les ouvrît toutes grandes.
A ce moment, un messager de la cour, envoyé en toute hâte, vint lui annoncer que le roi lui faisait grâce. Michel répondit fièrement :
— J'ignorais que j'eusse mérité ni la mort ni le pardon.
Quelle que fût l'énergie de Michel de l'Hôpital, son grand coeur ne put supporter la vue des malheurs dont la patrie était alors accablée. Sa vie fut abrégée par la tristesse. Il mourut six mois après la Saint-Barthélémy, dans une pauvreté voisine de la misère.
Enfants, vous le voyez, il n'y a pas seulement de belles pages dans l'histoire de notre France ; hélas ! il y en a qui attristent le coeur, comme les massacres commandés par Charles IX, et qu'on voudrait pouvoir effacer à jamais. Enfants, c'est le juste châtiment de ceux qui ont fait le mal, que leurs actions soient haïes dans le passé comme elles l'ont été dans le présent, et que leur souvenir indigne les coeurs honnêtes.
Quand Charles IX eut inondé la France sous des flots de sang, il ne put étouffer la voix de sa conscience. A son lit de mort, il fut poursuivi par d'horribles visions : il croyait apercevoir ses victimes devant lui. L'étrange maladie dont il mourut redoublait ses terreurs, il avait des sueurs de sang et son agonie fut affreuse.
Enfants, comparez en votre coeur le roi Charles IX et Michel de l'Hôpital. L'un mourut pauvre après avoir vécu esclave de la justice et de l'honneur, n'ayant qu'une crainte au monde, la crainte de défaillir à son devoir : son nom est resté pour tous comme le souvenir de la loyauté vivante, chacun de nous voudrait lui ressembler. L'autre vécut entouré des splendeurs royales ; mais, au milieu des plaisirs et des fêtes, ce coeur misérable ne put trouver le repos. Objet de mépris pour lui-même, il l'était aussi pour ceux qui l'approchaient, et il le sera toujours pour ceux qui liront son histoire.
Enfant, n'oubliez jamais ce que Michel de l'Hôpital aimait à répéter : — Hors du devoir, il n'y a ni honneur ni bonheur durable.
II. C'est encore l'Auvergne qui a vu naître, l'an 1768, un homme de guerre également célèbre par son courage et par son honnêteté : DESAIX.
— Oh ! oh ! Jean-Joseph, vous devez être content. Les hommes courageux ne manquent pas dans votre pays. Voyons la suite :
Desaix à l'âge de vingt-six ans était déjà général. Il prit part aux grandes guerres de la Révolution française contre l'Europe coalisée.
Desaix était d'une extrême probité. Quand on frappait les ennemis d'une contribution de guerre, il ne prenait jamais rien pour lui, et cependant il était lui-même pauvre ; "mais, disait-il, ce qu'on peut excuser chez les autres n'est pas permis à ceux qui commandent les soldats." Aussi était-il admiré de tous et estimé de ses ennemis. En Allemagne, où il fit longtemps la guerre, les paysans allemands l'appelaient le bon général. En Orient, dans la guerre d'Egypte où il suivit Bonaparte, les musulmans qui habitent le pays l'avaient surnommé le sultan juste, c'est-à-dire le chef juste.
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DESAIX, né en 1768, près de Riom (Puy-de-Dôme), mourut, en 1800, à la bataille de Marengo, au moment où il venait de décider la victoire.
En 1800, se livra dans le Piémont, près de Marengo, une grande bataille. Nos troupes, qui avaient traversé les Alpes par le mont Saint-Bernard pour surprendre les Autrichiens, se trouvèrent attaquées par eux. Après une résistance héroïque, nos soldats pliaient et commençaient à s'enfuit. Tout à coup, Desaix arriva en toute hâte à la tête de la cavalerie française ; il se jeta au milieu de la mêlée, donnant l'exemple à tous et guidant ses soldats à travers les bataillons autrichiens, qui furent bientôt bouleversés. Mais une balle ennemie le blessa à mort et il tomba de cheval ; au moment d'expirer, il vit les ennemis en fuite : il avait par son courage décidé la victoire. "Je meurs content, dit-il, puisque je meurs pour la patrie."
Ses soldats lui élevèrent un monument sur le champ même de la bataille. Plus tard, sa statue fut élevée à Clermont-Ferrand.
Vercingétorix et Desaix furent des modèles de courage militaire ; Michel de l'Hôpital fut un modèle de courage civique, non moins difficile parfois et aussi glorieux que l'autre. Partout et toujours, dans la paix comme dans la guerre, faire ce qu'on doit, advienne que pourra, voilà le vrai courage et le véritable honneur.
— Faire ce qu'on doit, advienne que pourra, répéta Jean-Joseph, je veux me rappeler cela toujours, Julien.
— Moi aussi, dit Julien, je veux faire mon devoir toujours, quoi qu'il puisse arriver.
André, tout en causant avec les bûcherons, avait continué de prêter attention à la conversation des deux enfants ; la dernière phrase le frappa, et lui aussi, sérieux, réfléchi, se disait en lui-même :
— Faire ce qu'on doit, advienne que pourra, c'est une belle pensée que je veux retenir !