Titre Précedent Suivant Sommaire Index | LXV. — Une ville nouvelle au milieu des mines de houille : Saint-Etienne. — Ses manufactures d'armes et de rubans. — La trempe de l'acier.

LXV. — Une ville nouvelle au milieu des mines de houille : Saint-Etienne. — Ses manufactures d'armes et de rubans. — La trempe de l'acier.

Les richesses d'un pays ne sont pas seulement à la surface de son sol : il y en a d'incalculables enfouies dans la terre et que la pioche du mineur en retire.
Après avoir traversé un joli pays, verdoyant et bien cultivé, nos voyageurs virent de loin monter dans le ciel un grand nuage de fumée. En approchant, Julien distingua bientôt de hautes cheminées qui s'élevaient dans les airs à une soixantaine de mètres. — Oh ! dit Julien, on dirait que nous revenons au Creusot, mais c'est bien plus grand encore. Combien voilà de cheminées !
— C'est Saint-Etienne, dit M. Gertal. Et Saint-Etienne a en effet plus d'un rapport avec le Creusot, car, là aussi, on travaille le fer, l'acier ; on y fait la plus grande partie des outils de toute sorte qui servent aux différents métiers.
— Je me souviens, dit André, que l'enclume sur laquelle je travaillais portait la marque de Saint-Etienne.
— Toutes ces usines-là, mes amis, ne sont pas aussi vieilles que moi. Parmi les grandes villes de la France, Saint-Etienne est la plus récente. Il y a cent ans, c'était plutôt un bourg qu'une ville, car elle n'avait que six mille habitants ; aujourd'hui elle en a cent quarante-six mille.
— Vraiment, monsieur Gertal ? et, quand vous l'avez vue pour la première fois, elle n'était point comme à présent ?
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VUE DE SAINT-ETIENNE. — C'est après Lyon, la plus grande ville du Lyonnais. Autrefois sous-préfecture, elle est devenue le chef-lieu du département de la Loire. C'est aux environs de cette ville que le premier des chemins de fer français a été construit par l'ingénieur Séguin. Aujourd'hui Saint-Etienne a trois lignes de chemins de fer pour desservir son industrie, et compte 146 800 habitants.
— Non, certes, petit Julien ; et je suis sûr que cette année encore je vais y voir bien des maisons nouvelles, des rues tout entières que je ne connaissais point.
— Mais pourquoi Saint-Etienne s'agrandit-il comme cela ?
— Vois-tu, mon ami, ce qui fait la prospérité de cette ville, c'est qu'elle est tout entourée de mines de houille. Ces mines lui donnent du charbon tant qu'elle en veut pour faire marcher ses machines.
A ce moment, on entrait dans Saint-Etienne et on y voyait de grandes rues bordées de belles maisons, mais tout cela était noirci par la fumée des usines ; la terre elle-même était noire de charbon de terre, et, quand le vent venait à souffler, il soulevait des tourbillons de poussière noire.
La voiture se dirigea vers une hôtellerie que connaissait M. Gertal et qui était située non loin de la grande Manufacture nationale d'armes.
Quand on arriva, il était déjà tard et le travail venait de cesser à la Manufacture. Alors, à un signal donné, on vit tous les ouvriers sortir à la fois : c'était une grande foule, et Julien les regardait passer avec surprise, en se demandant comment on pouvait occuper tant de travailleurs.
— Et tous les fusils dont la France a besoin pour ses soldats ! lui dit André ; ne crois-tu pas qu'il y ait là de quoi donner de la besogne ? Sans compter les sabres, les épées, les baïonnettes : la plus grande partie de tout cela se fait à Saint-Etienne. C'est dans la petite rivière qui coule ici, et qui s'appelle le Furens, qu'on trempe l'acier des sabres et des épées, pour les rendre plus durs et plus flexibles.
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OUVRIER TREMPANT L'ACIER. — Pour donner de la dureté et de l'élasticité à l'acier (par exemple aux lames de sabres et d'épées), on le fait rougir, puis on le trempe tout à coup dans l'eau froide.
— Oui, mes amis, dit M. Gertal, Saint-Etienne est la ville du fer et de l'acier. Cependant l'industrie du fer n'occupe encore que la moitié de ses nombreux ouvriers. Ce ne sont point des objets de quincaillerie que je vais acheter ici ; ce sont des soieries, des rubans, des velours. Il y a, aujourd'hui, à Saint-Etienne plus de 40 000 ouvriers occupés à tisser la soie. Ici encore on trouve ces métiers inventés par Jacquard qui fabriquent jusqu'à trente-six pièces de rubans à la fois.
En disant ces mots, M. Gertal sortit avec les deux enfants pour aller faire des achats. Il se rendit chez plusieurs fabricants de rubans et de soieries, où l'on entendait encore, malgré l'heure tardive, le bruit monotone des métiers.
M. Gertal devait rester un jour seulement à Saint-Etienne. Le surlendemain, au moment du départ, il dit à Julien :
— Mon ami, le temps approche où nous allons nous quitter. Te rappelles-tu la promesse que je t'ai faite à Besançon ? Je ne l'ai pas oubliée, moi. Voici le petit cadeau que tu désirais.
En même temps, M. Gertal atteignit un parapluie soigneusement enfermé dans un fourreau en toile cirée. — Je te l'ai acheté ici même, dit-il.
— Oh ! merci, monsieur Gertal, s'écria Julien en ouvrant le parapluie. Mais, ajouta-t-il, il est en soie, vraiment ! Oh ! qu'il est grand et beau ! voyez, monsieur Gertal, comme André et moi nous serons bien garantis là-dessous ! Et avec cela il est léger comme un jonc. Que vous êtes bon, monsieur Gertal !
Puis, passant le parapluie à André, qui le remit dans son étui, l'enfant courut aussitôt embrasser le patron.
On quitta ensuite la grande ville industrielle pour se diriger vers le sud-est, et on passa du Lyonnais dans le Dauphiné.