Titre Précedent Suivant Sommaire Index | XVII. — Arrivée d'André et de Julien à Épinal. — Le moyen de gagner la confiance.

XVII. — Arrivée d'André et de Julien à Épinal. — Le moyen de gagner la confiance.

Voulez-vous mériter la confiance de ceux qui ne vous connaissent pas ? travaillez. On estime toujours ceux qui travaillent.
Le soir, grâce à la voiture du fermier, les enfants arrivèrent à Épinal, où André se proposait de travailler un mois pour obtenir un bon certificat de son patron et du maire de la ville.
Épinal est une petite ville animée, chef lieu du département des Vosges. Les enfants traversèrent sur un pont la Moselle qui arrose la ville et s'y divise en plusieurs bras. Ils furent d'abord embarrassés au milieu de toutes les rues qui s'entre-croisaient ; mais, après s'être informés poliment de leur chemin, ils arrivèrent chez une parente de la fermière qui leur avait donné la veille l'hospitalité à Celles.
Ils lui dirent qu'ils venaient de la part de la fermière et lui demandèrent de les prendre en pension, c'est-à-dire de les loger et de les nourrir pendant le mois qu'ils allaient passer à Épinal. André eut soin d'ajouter qu'ils avaient quelques économies et paieraient le prix que la bonne dame fixerait.
Mme Gertrude (est ainsi qu'on l'appelait) fit les plus grandes difficultés. C'était une petite vieille voûtée, ridée, mais l'oeil vif et observateur. Elle était assise auprès de la fenêtre devant une machine à coudre, le pied posé sur la pédale de la machine et la main sur l'étoffe pour la diriger. Elle interrompit son travail afin de questionner les enfants, parut hésitante :
Je suis trop âgée, dit-elle, pour prendre un pareil embarras.
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LA MACHINE À COUDRE. — Cette machine, si utile et si répandue aujourd'hui, a été inventée il n'y a pas longtemps par l'Américain Elias Howe. On la meut la plupart du temps avec le pied. Elle coud avec rapidité et solidité. Une machine à coudre peut faire l'ouvrage de deux ouvrières actives.
Puis, rajustant ses lunettes, pour observer encore mieux les enfants inconnus qui lui arrivaient et qu'elle avait laissés tout le temps debout sur le seuil de sa porte, elle finit par dire :
— Entrez toujours, je vous coucherai ce soir ; après cela nous verrons, vous et moi, ce que nous avons de mieux à faire.
Les deux enfants fort interdits entrèrent dans la maison de la vieille dame. Elle ouvrit un cabinet où il y avait un grand lit, deux chaises et une petite table.
— C'est l'ancienne chambre de mon fils, dit-elle ; mon fils est mort dans la dernière guerre.
Elle s'arrêta, poussant un long soupir. — Prenez sa chambre pour ce soir, ajouta-t-elle ; plus tard nous verrons.
Elle referma la porte brusquement et s'éloigna, les laissant fort attristés de l'accueil qui leur était fait. Julien surtout était confondu, car il voyait que la vieille dame se méfiait d'eux ; il se jeta au cou de son frère.
— Oh ! André, s'écria-t-il, il vaudrait mieux aller ailleurs. Nous serons malheureux de passer un mois chez quelqu'un qui nous prend, bien sûr, pour des vagabonds... Pourtant, ajouta l'enfant, nous sommes bien propres, et nous nous étions présentés si poliment !
— Julien, dit André courageusement, ailleurs ce serait sans doute tout pareil, puisque personne à Épinal ne nous connaît. Ici, au moins, nous sommes sûrs d'être chez une brave et digne femme, car la fermière nous l'a dit. Tu sais bien, Julien, qu'il ne faut pas juger les gens sur la mine. Au lieu de nous désoler, faisons tout ce que nous pourrons afin de gagner sa confiance... Pour commencer, puisqu'il n'est pas encore sept heures, je vais lui demander où demeure le maître serrurier pour lequel j'ai une recommandation. J'irai le voir tout de suite, et, si j'obtiens de l'ouvrage, la dame Gertrude verra bien que nous sommes d'honnêtes enfants qui voulons travailler et gagner son estime. Tu sais bien, Julien, qu'on estime toujours ceux qui travaillent.
— Et moi ? dit Julien.
— Toi, mon frère, reste à m'attendre, je crois que cela vaut mieux.
Et André partit dans la direction que lui indiqua la mère Gertrude, tandis que Julien, poussant un gros soupir, regardait son frère s'éloigner.
— Oh ! combien nous serons heureux, pensait-il, quand nous aurons retrouvé notre Oncle, que nous aurons une maison et que nous ne serons plus ainsi seuls comme deux enfants à l'abandon. Rien ne vaut la maison de la famille.