Titre Précedent Suivant Sommaire Index | XXXI. — L'ivrogne endormi. — Une louable action des deux enfants.

XXXI. — L'ivrogne endormi. — Une louable action des deux enfants.

Un homme en danger, quel qu'il soit, a droit à notre aide.
Une grande heure se passa ainsi dans l'anxiété. Le cheval allait comme le vent, car les coups pleuvaient sur lui plus drus que grêle.
Enfin à la longue l'ivrogne, appesanti par le vin, cessa de jurer et de fouetter ; il se renversa en arrière sur son siège et finit par s'endormir du lourd sommeil de l'ivresse. Aussitôt le cheval, de lui-même, comme s'il devinait cet incident prévu, ralentit le pas peu à peu . bientôt même il s'arrêta tout à fait, heureux sans doute de souffler à l'aise après la course folle qu'il venait d'exécuter.
L'ivrogne ne bougea point : il ronflait à poings fermés.
Alors nos enfants, pris d'une même idée tous les deux se levèrent sans bruit, saisissant leurs petits paquets de voyageurs et leurs bâtons. Il enjambèrent doucement par-dessus le voiturier, et d'un saut s'élancèrent sur la grande route, courant à coeur joie, tout aises d'être enfin en liberté.
— Oh ! André, s'écria Julien, j'aimerais mieux marcher à pied toute ma vie, par les montagnes et les grands bois, que d'être en compagnie d'un ivrogne, eût-il une calèche de prince !
— Sois tranquille, Julien, nous profiterons de la leçon désormais, et nous ne nous remettrons plus aux mains du premier venu.
Pendant ce temps le cheval, surpris en entendant sauter les enfants, s'était remis à marcher et les avait devancés. Comme le voiturier dormait toujours, la voiture s'en allait au hasard, effleurant les fossés et les arbres de la route.
A un moment, une des roues passa sur un tas de pierres ; la carriole chancela prête à verser dans le fossé, qui, à cet endroit, était profond.
— Oh ! dit André, il va arriver malheur à cet homme.
— Tant pis pour lui, dit Julien, qui gardait rancune à l'ivrogne ; il n'aura que ce qu'il mérite.
André reprit doucement : — Peut-être sa femme et ses enfants l'attendent-ils en ce moment, Julien ; peut-être, si nous l'abandonnons ainsi, le verront-ils rapporter chez eux blessé, sanglant, comme l'était notre père.
En entendant ces paroles, Julien se jeta au cou de son frère : — Tu es meilleur que moi, André, s'écria-t-il ; mais comment faire ?
— Marchons à côté du cheval, nous le tiendrons par la bride. Si le voiturier s'éveille, nous nous sauverons.
— Et s'il ne s'éveille point ?
— Nous verrons alors ce qu'il y a de mieux à faire. En tout cas, nous avons commis une étourderie ce matin en nous liant avec lui si rapidement ; ne faisons pas ce soir une mauvaise action en l'abandonnant sur la grande route. Un honnête homme ne laisse point sans secours un autre homme en danger, quel qu'il soit.